La Mission Amathonte

La Mission française d’Amathonte, créée en 1975, est co-financée par le ministère de Affaires étrangères et l’École Française d’Athènes.

CODIRECTION
- Pierre Aupert
- Antoine Hermary
depuis 2004 :
- Sabine Fourrier
- Hermary

La Mission Amathonte

Entamée en 1975, à la suite des événements de 1974 et de la perte, par la France, du chantier de Salamine, la mission du ministère des Affaires étrangères et de l’École d’Athènes fouille depuis bientôt trente ans cette ville de la côte sud de Chypre, capitale de l’un des royaumes de l’île.

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Le site d’Amathonte, vu de l’est. Vers le centre, à gauche, la fouille de l’agora ; à droite, au pied de l’acropole, le chantier de la muraille nord ; au sommet de l’acropole, à droite, celui du temple d’Aphrodite et de la basilique chrétienne ; au milieu de l’acropole, le palais.

Ce site, vierge encore de toute recherche archéologique systématique, constituait une énigme aux yeux des historiens. La ville, occupée à l’origine, d’après Théopompe, par une population « autochtone », fortement mêlée de Phéniciens, puis de Grecs, et où l’on parlait une langue aujourd’hui encore non déchiffrée, fut ensuite dirigée par des rois au nom grec, mais qui menaient une politique en général favorable à la Perse. De fait, les trouvailles antérieures à nos fouilles, dont le grand vase monolithe du Louvre, le Bès gigantesque du musée d’Istanbul, le sarcophage historié du Metropolitan Museum, ainsi qu’une inscription phénicienne du Cabinet des Médailles et une coupe en argent à décor de batailles du British Museum, proposaient la vision d’une civilisation complexe, où se sont croisées toutes les influences des pays de l’Est méditerranéen, depuis l’époque géométrique jusqu’à la conquête romaine.

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Plan de la ville d’Amathonte.
- 1 : la muraille nord ;
- 2 : le palais ;
- 3 : le port ;
- 4 : l’agora ;
- 5 : l’aqueduc ;
- 6 : le temple d’Aphrodite ;
- 7 : la basilique de Saint-Tykhon (fouille chypriote) ;
- 8 : la basilique du port (fouille chypriote) ;
- 9 : la basilique chrétienne construite aux dépens du temple d’Aphrodite ;
- 10 : la muraille du VIIe s. apr. J.-C. ;
en bas à gauche : la muraille et la porte ouest.

La ville occupe deux collines dissymétriques (acropole et ville basse) en bordure de la côte sud de Chypre. Connue pour ses exploitations de minerai de cuivre et son temple d’Aphrodite, capitale de l’un des royaumes chypriotes, puis siège d’un évêché, elle a longtemps été le lieu de fouilles plus ou moins clandestines, avant que ses nécropoles ne fassent l’objet de fouilles scientifiques, anglaises, puis suédoises et enfin chypriotes. C’est elle dont le service des Antiquités chypriotes a proposé la fouille à notre mission.

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L’un des chapiteaux hathoriques d’époque classique découverts au palais.

Parallèlement à la publication des testimonia antiques et des découvertes déjà connues, notre mission a fouillé les lieux, vite repérés, dont on pouvait supposer qu’ils recelaient plus d’informations sur cette civilisation originale : le palais, le temple d’Aphrodite, le port et la muraille.

Le palais, construit sur une série de terrasses artificielles, occupe une situation médiane sur l’acropole. Seuls ses entrepôts ont été partiellement dégagés, mais les enseignements sont importants. L’architecture en est soignée : aux épais murs en adobe ont succédé des constructions pseudo-isodomes en pierre de taille, liées au mortier de chaux. De profondes citernes ou silos en forme de bouteille pouvaient contenir de vastes réserves d’eau et de céréales. Les aires de stockage, au sol dallé ou plâtré, ont livré une quarantaine de jarres d’une contenance d’environ 150 litres chacune. Elles sont entourées de petits ateliers artisanaux (fonderie, tissage), dont la date reste à préciser. La présence d’un autel et de statuettes en calcaire (korés et kouroi, sphinges brûle-parfums, joueur de flûte à masque de taureau) ; ou en terre cuite (modèles de bateaux et de chariots, Astarté se tenant les seins, danseur phrygien, etc.) ; celle de plusieurs chapiteaux hathoriques (comme au palais de Vouni), dont l’un polychrome, celle encore, d’un dépôt de figurines hellénistiques et romaines, témoignent de l’existence, à proximité immédiate, d’un ou de plusieurs lieux de culte, restés en activité jusqu’après la chute de la royauté. Cet indice, cet entrepôt lui-même, ainsi que la découverte de nombreuses importations de céramique grecque, d’une tablette inscrite, de vases marqués eux aussi de diverses inscriptions, de sceaux et de bijoux, montrent clairement que l’on est en présence du siège du pouvoir amathousien.

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La muraille nord de la ville basse. Au pied de l’acropole, au premier plan, la porte ; en arrière-plan à droite, la face interne de la courtine.

Construit au VIIIe s. av. J.-C., remanié au cours du VIIe siècle, le bâtiment a vraisemblablement été détruit, en 498, par Onésilos, allié des Grecs d’lonie en révolte contre une Perse à laquelle le roi d’Amathonte était resté fidèle. Le palais a été reconstruit au début du Ve siècle. C’est à cet endroit que l’on a retrouvé les premières inscriptions syllabiques grecques trouvées à Chypre, peintes sur des tessons. Elles sont datées de 550/530 av. J.-C. et témoignent que l’on écrivait le grec - et qu’il y avait donc un public pour le comprendre - au sein même d’un pouvoir dont les détenteurs menaient une politique opposée aux Grecs. Les lieux furent abandonnés vers 300 av. J.-C., lors du passage de Chypre aux mains des successeurs d’Alexandre.

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Figurine hellénistique découverte en contrebas du palais.

Le temple d’Aphrodite, au sommet de l’acropole, est un autre témoin important de l’histoire du site. Partagé avec Adonis d’après Pausanias, second en importance dans l’île, d’après Tacite, ce sanctuaire, comme le palais, ne paraît pas occupé avant le Vllle s. av. J.-C. Le seul vestige antérieur pourrait être une tombe où l’on a trouvé une pierre à cupule sans doute datée de la fin de l’âge du Bronze. Ce serait la tombe la plus ancienne d’Amathonte. Il s’agirait, avec quelques vases du XIe siècle découverts près du palais, du plus ancien témoignage d’occupation du site. Au VIIIe siècle appartient uniquement de la céramique votive, retrouvée dans une grotte et dans une fosse rupestre. La construction d’un portique hellénistique, puis du temple d’époque impériale et enfin de la basilique chrétienne, ont oblitéré tout vestige antérieur, à l’exception d’un enclos, d’un autel et des fameux vases archaïques d’Amathonte. Le premier, malgré son poids d’une douzaine de tonnes, a été transporté au Louvre en 1865 et le second a été retrouvé par nous en morceaux, sur la plate-forme rocheuse où il était installé.

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Figurine hellénistique découverte en contrebas du palais.

Le grand temple de la "déesse de Chypre", une Aphrodite souvent figurée sous les traits de Hathor, a été construit dans les années 70-100 et flanqué d’une petite chapelle à fronton, peut-être consacrée au parèdre Adonis. De type grec, sans doute un hecatompedon (doté d’une longueur de cent pieds), il présente un soubassement à trois degrés, une cella avec arrière-salle et ses quatre colonnes de façade sont couronnées par d’originaux chapiteaux de type nabatéen, inconnus en Grèce et d’une grande pureté d’exécution. C’est l’un des rares temples de l’île. Au Ve s. apr. J.-C., il a sans doute été transformé en lieu de culte chrétien. Vers 600, il a été presque entièrement démonté et ses pierres furent remployées dans la construction d’une basilique à trois nefs dans l’angle d’une cour ornée d’une phiale, dont le vaste réservoir voûté a été creusé dans la roche. La multiplicité des salles annexes, dont certaines de petite taille, fait penser à une basilique de monastère ou de pèlerinage. L’abandon est à situer en même temps que la fin de la ville, au cours des diverses attaques arabes de la fin du VIIe siècle.

Le port, organe important d’une ville qui commerçait avec la côte syro-palestinienne, l’Anatolie, la Grèce et l’Égypte, possède encore des jetées visibles sous la surface de la mer. La muraille de la ville se poursuivait sur les blocs composant les quais. On peut fixer la construction à la toute fin du IVe s. av. J.-C.

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Maquette de la basilique chrétienne du haut de l’acropole.

L’enceinte de la ville n’était attestée que par un puissant mur encore debout sur la plage, en limite ouest de la ville. La fouille a permis de le dater de l’époque hellénistique, de dégager, un peu plus haut, la porte qui s’y ouvrait, de démontrer qu’il monte sur l’acropole et qu’il en redescend au nord-est pour contourner la ville basse. La porte nord, au passage dallé, a été reconnue, au voisinage de l’arrivée d’un aqueduc, ainsi que des tours, échelonnées sur son tracé, au nord et à l’est. Cette fortification comporte plusieurs phases, depuis l’époque archaïque, jusqu’au premier siècle de notre ère. Devant les menaces arabes de la fin du Vlle s. elle a été complétée par un mur, en partie construit avec les dépouilles du palais et du temple d’Aphrodite et qui barrait l’acropole à mi-pente. Ce fut peine perdue, comme le démontrent les couches d’incendie en travers des portes. Au nord-est de la ville basse, en contrebas de la porte nord, un bastion-terrasse du ler s. apr. J.-C. portait un second sanctuaire d’Aphrodite, qui dominait la voie d’accès à la ville.

Peu à peu, les fouilles de la mission Amathonte ont donc confirmé la composante étéochypriote de la population et le lien, au Vle s. av. J.-C. entre ses dirigeants et la Grèce. Elles ont aussi confirmé la nature mixte, orientale et hellénique, de sa religion et précisé certains événements historiques, le contexte culturel et les liens commerciaux, tout en mettant au jour les principaux vestiges urbains et en localisant les éléments de la mise en valeur du territoire. Elles éclairent donc la vie et l’histoire de ce royaume original jusqu’alors peu connu, ainsi que, à travers lui, celles de l’île tout entière.

LES TRAVAUX DE LA MISSION

Parallèlement, une équipe a effectué la prospection pédestre de quelque 2 700 hectares du territoire au nord de la ville. Elle y a identifié de nombreux sites néolithiques inattendus, dont celui de Shillourokambos, désormais fouillé par la mission dirigée par Jean Guilaine. Elle a aussi découvert les éléments de la vie économique du royaume : mines, carrières, fermes, installations viticoles (là encore il s’agit d’une nouveauté), aqueduc, ainsi que des sanctuaires. L’ensemble est à mettre en rapport avec les grandes phases du déve-loppement de la capitale elle-même. Ces dernières années, enfin, notre mission, à la demande du service des Antiquités chypriote, achève la fouille de l’agora, déjà largement dégagée en bordure du port interne par un fouilleur chypriote. L’opération est en cours et a déjà fourni des résultats importants quant à l’histoire du cœur de la ville.

BIBLIOGRAPHIE

- P. AUPERT (dir.), Guide d’Amathonte, École française d’Athènes - Fondation Leventis, Athènes, 1996 (éd. en anglais et en grec par la Banque de Chypre).
- P. AUPERT et M.-C. HELLMANN, Amathonte 1. Testimonia 1, École française d’Athènes - Éditions Recherches sur les Civilisations, Paris 1984.
- A. HERMARY, Amathonte 11. Testimonia 2, la sculpture, École française d’Athènes - Éditions Recherches sur les Civilisations, Paris, 1981.
- R. LAFFINEUR et al., Amathonte lll. Testimonia 3, l’orfèvrerie, École française d’Athènes - Recherches sur les Civilisations, Paris, 1986.
- A. QUEYREL, Amathonte IV. Les figurines hellénistiques, École française d’Athènes, Athènes, 1988.
- A. HERMARY, Amathonte V, Les figurines en terre cuite archaïques et classiques, les sculptures en pierre, École française d’Athènes - Fondation Leventis, Athènes, 2000.

publié le 11/09/2008

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